La Carte de Tendre : embarquement pour l'Amour
En 1653, François Hédelin, abbé d'Aubiganc, fait la lecture de sa dernière oeuvre à Madeleine de Scudéry : Le Royaume de Coquetterie.
Le manuscrit est accompagné d'une carte représentant une île perdue au milieu de l'Océan, île où l'Amour règne en maître, logé au Palais des Bonnes Fortunes, dans sa capitale Coquetterie, gardé par le Capitaine Jeunesse.
Elle est habitée par des "coquets et Coquettes, tous juvéniles, souriants, fardés". Ils ont le droit de pénétrer dans la ville capitale et de parader sur la place Cajolerie où, près du Temple de la Pudeur en ruine, des marchands tiennent boutique de louanges, de protestations d'amitié, de serments, de désespoirs.
Cette satire fait une profonde impression sur Madeleine de Scudéry.
Elle a voulu faire de son célèbre salon une sorte de "temple où l'encens amoureux ravit les narines des déesses" et désire un royaume dont elle serait la reine.
C'est ainsi qu'en 1654, sur le modèle de la Carte de la Coquetterie, naît sous sa plume la célèbre Carte de Tendre.
Elle sait si bien faire l'anatomie du coeur amoureux, qu'elle décrit toutes les jalousies, toutes les inquiétudes, toutes les impatiences, toutes les joies, tous les dégoût, tous les murmures, tous les désespoirs, toutes les espérances, toutes les révoltes et tous ces sentiments tumultueux qui ne sont jamais bien connus que de ceux qui les sentent ou les ont sentis. Quiconque s'embarque sur la Carte de Tendre parvient sans danger au but du voyage. Mais personne ne dirige l'aventurier. Que celui-ci prenne la route du Grand Esprit ou de Complaisance et, de village en village, il aboutit à Tendre-sur-Estime ou à Tendre-sur-Reconnaissance, villes où l'on ne jouit que de plaisirs médiocres. S'égarant à Négligence ou à Indiscrétion, il se noie dans le lac d'Indifférence ou dans la Mer d'Inimitié, ou encore se heurte aux Rochers d'Orgueil.
Traversant des solitudes immenses, il risque aussi de sombrer dans la Mer Dangerreuse au-delà de laquelle s'ouvrent les Terres Inconnues.